Après le premier épisode du moniteur de voile Alex Colin, parti de Bandol en France pour vivre son rêve Brésilien en travaillant pour le club Kauli Seadi de Sao Miguel do Gostoso  ( www.tripandride.com/special-bresil-sao-miguel-do-gostoso-vu-alex-colin-moniteur-au-kauli-seadi-center/) , voici le deuxième volet de ses aventures qu’il nous fait vivre de l’intérieur, et de fort belle manière …

« Le réveil est dur. Mais pas aussi dur que le mal de tête qui me rappelle que oui, la soirée était certes terrible. Mais que plus haute est l’ivresse, plus dure est la chute.

Mais bon, cette soirée qui partait sur un classique: « we just go for one beer », s’est terminée à 04h30 après un nombre assez conséquent de caïpirinhas et autres cocktails à base de cachaça, alcool national brésilien ressemblant au rhum. Assez pour que le patron me remercie en personne à la sortie…

En même temps ce soir là il y avait Forro dans mon bar favori, une danse locale collée-serrée qui compense la simplicité de ses pas par une ondulation du bassin aux limites de l’exhibitionnisme. Et moi qui ai toujours été un frustré du dance floor, incapable de ne pas déclencher l’hilarité chez les témoins de mes tentatives de déplacement de corps en rythme, je regardais les brésiliens faire vibrer les filles au son du triangle et du tambour…

Mais la cachaça donnant des ailes, après quelques soirées à rester assis à regarder les autres sembler prendre du plaisir à danser, je me suis enfin lancé! C’est Julia qui a eu la lourde tâche de m’inculquer les bases. Petite, un visage long et fin accentué par ses cheveux longs et lisses, Julia vient de São Paulo. Elle a décidé de changer de vie  après avoir visité São Miguel.  Elle pense que l’air pur et la simplicité du village sont plus sains pour son fils de huit ans. Son fils grandira en liberté, loin de la jungle de béton et de ses carcans sociaux.

Ce sont les macaquiños qui m’ont réveillé. Les cris suraigus de ces petits ouistitis à toupet blanc (merci wikipédia) sont caractéristiques du matin. Les coqs commençant à chanter à 3h du matin, on apprend à dormir avec et ils perdent donc leur  fonction réveil. Les macaquiños sont partout ici, on les surprend parfois courant sur les lignes électriques pour rejoindre un autre cocotier. Ils ont l’habitude de venir au Clube Kauli manger quelques bananes que les touristes ébahis leurs donnent. Difficile de ne pas craquer devant leurs expressions si humaines. Peur, surprise, curiosité…Maquaquinos

Sur l’eau, ce sont parfois les humains qui deviennent animaux, tantôt oiseaux lorsqu’ils prennent leurs envol après avoir frappé une vague avec leur planche à voile, tantôt dauphins quand ils surfent. Le rush d’adrénaline apporté est tellement fort qu’il en rend irrémédiablement addict. Une fois qu’on sait sauter 30 cm on veut sauter 3 m. Quant sait sauter 3 m on veut faire des loops. On finit par faire des loops à 8 m et on en veut toujours plus… Apprendre à sauter c’est définitivement apprendre au contact de la peur. On commence par se décevoir. On se dépasse, pour finalement se féliciter d’avoir gagné un combat contre soi-même. Mais la guerre n’est jamais gagnée, car pour chaque victoire se découvre un nouvel objectif!

Mais rien ne vaut le plaisir d’être sur l’eau avec des gens positifs qui crient à chaque fois qu’ils vous croisent. Parfois je croise un grand père qui hulule à chaque fois qu’on fait demi-tour à portée de sa voix! Etre sur l’eau à son âge et être moteur de l’ambiance de navigation, ça impose le respect…IMG_3142b

Peter a 35 ans, il est allemand et est en vacances ici avec son père de 66 ans. Les voir naviguer ensemble est vraiment touchant, le fils donnant des conseils au père qui refuse évidemment d’écouter… Mais qu’importe la technique, ils partagent tous les deux des moments qui n’appartiennent qu’à eux. Ils profitent de ce qu’ils ont pendant le temps où ils le peuvent encore: leurs regards complices le soir lorsqu’ils mangent ensemble au restaurant un ceviche de poisson, la chair blanche cuite à froid par l’acidité du jus de citron vert adoucie par la mangue et le lait de coco… Pour sûr, ce goût typique restera dans leurs souvenirs communs.

Pour moi ce matin, c’est plutôt la chasse au souvenirs d’hier soir! Le Suco do Amor, coktail vert-jaune-rouge à base de vodka et cachaça, y sont pour quelque chose…sucos caipis

Ah oui, entre deux Forros approximatifs, j’ai discuté avec Benjamin, un Français en ballade pour un an autour du monde. Equateur, Argentine, et maintenant Brésil; demain Vietnam… A 26 ans il a mis en pause son travail dans une maison d’édition pour partir à sa propre recherche autour du globe. C’est au contact de nouvelles cultures que l’ont apprend quelle est vraiment la nôtre.

Je l’ai rencontré en train de noircir d’une écriture élégante, un cahier à la table d’un snack local. Les yeux bleu-vif accordés avec une chemise à rayures fines, il dénotait avec les traditionnels touristes à t-shirt du nom des endroits qu’ils ont déjà visité.

A ma question sur l’éventuelle publication de ce qu’il écrivait, il me répondit avec humour: « égoïstement, je me publierai moi-même pour être sûr de ne pas essuyer de refus! »

Nous parlâmes de l’importance de ne pas blâmer l’éducation de nos parents, mais d’assumer la responsabilité de ce que nous sommes et de nos actes. Le voyage est une sorte d’auto-éducation, et on mûrit au fur et à mesure des rencontres sur la route.

Je lui confiai l’angoisse qui m’habitait avant mon départ pour le Brésil, avant de quitter le cadre de vie que j’avais mis 3 ans à construire. Comment la transcription de la conférence de Sartre, « L’existentialisme est un Humanisme », m’avait aidé à dominer cette peur du vide, cette peur d’être libre et responsable de mes choix. Sartre encourageait à assumer, à faire corps avec ses décisions, bonnes ou mauvaises, qu’importe, si elles débouchent toujours sur une leçon. Mais l’engagement est crucial.

Avant de reprendre sa route, il m’a offert le dernier livre qu’il venait de finir. « Les Racines du Ciel » de Romain Gary. Malgré mon regard inquiet devant le nombre de pages il me dit: »tu vas te régaler! Le mec il gagne son premier Goncourt avec ce bouquin, c’est aussi le seul écrivain à  l’avoir gagné deux fois. Il a pris un pseudonyme, Emile Ajard, pour le second puisqu’on ne peut théoriquement le gagner qu’une fois »

Je ne sais pas s’il s’est trouvé, mais je me suis un peu retrouvé en lui. Soif de surprises, de découvertes, de rencontres… Curieux de savoir ce que la prochaine personne qu’on a pas encore rencontrée va nous apporter. Heureux de partager.

On nous pousse à tout contrôler, la machine sociale met à mal l’ouverture à l’autre. On nous encourage à se focaliser sur nous-mêmes, l’individualisme est élevé au rang de dogme, alors qu’il suffit de quitter notre cocon et s’exposer à l’autre pour découvrir sa propre personne.DSC_4231b

Javier a la nostalgie de ses précédents voyages. Il a 25 ans et est sous l’emprise de la croyance qu’il faut un travail pour voyager alors qu’il pourrait trouver un travail grâce aux rencontres qui jalonneraient ses voyages.  Mais il a peur de continuer d’essayer car l’école nous apprend que l’échec est néfaste. On ne nous apprend pas à accepter l’échec, à réaliser qu’échouer peut amener à ne pas réitérer l’erreur qui a conduit à l’échec en question. Il se mure dans une inaction qui le ronge. La pluie hivernale, le froid qui pousse à rester chez soi, avec les mêmes personnes autour de soi. Javier dort de plus en plus mal, son estime de soi et son moral baissent, bref, il stagne et l’horloge tourne. Quitte à faire un petit boulot en attendant de savoir ce qu’on veut, autant le faire à l’étranger, là où les rencontres apportent des précisions sur ce qu’on ne veut pas et éventuellement ce qu’on veut, non?

Je finis par réussir à m’extirper de mon lit pour aller acheter quelques fruits au petit supermarché qui fait l’angle, ce sera jus d’ananas/banane ce matin, avec une brioche fourrée au chocolat fondu par la chaleur. Ça m’a pris 2 mois à réaliser que j’avais une boulangerie française à 50 m de chez moi, et découvrir ce « pão de chocolate » diabolique… J’ai de la chance aujourd’hui, le vent et les vagues pointent aux abonnés absents, parfait pour récupérer! Naviguer quasi tous les jours en faisant la fête régulièrement ça fatigue… »

Texte : Alexandre Colin

Publié par Fred Bonnef

Fred Bonnef, alias la grandedouille, alias Gitano, connu en Andalousie sous le surnom de Dieguito la Cigala et aux Canaries sous celui de La Curbina, pro rideur wind et sup chez Fanatic, North sails, Ion et Outside Reef, voyageur, éducateur sportif, jardinier, plongeur, aide cuisine, cas pour la science, réparateur de voile, guerrier survivant, chanteur sous sa douche, directeur de course, rédacteur en chef de tripandride.com